Retranscription de l'interview téléphonique de Stéphane MONCLAIRE - politologue, brasilianiste


Reporters Brésil : Bonjour, nous voudrions vous poser quelques questions comme convenu. Tout d'abord, pourquoi Dilma Rousseff a t-elle eu un faible score au second tour ? Cela a quand même été inattendu.

Stéphane Monclaire : "Alors, c'est vrai qu'un an avant le scrutin, même 6 mois avant le scrutin elle était donnée largement favorite et elle semblait même être en mesure de pouvoir l'emporter dès le premier tour. Mais la campagne s'est avérée être plus compliquée qu'elle n'imaginait, que les observateurs s'imaginaient. D'abord parce qu'au fil des mois qui ont précédé le scrutin, tout un ensemble d'indicateurs économiques se sont mis à clignoter orange : l'inflation était un petit peu trop forte, la croissance économique ne cessait de chuter, le pouvoir d'achat ne progressait plus et les inégalités sociales elles-mêmes ne se réduisaient plus et semblaient même augmenter un petit peu ; de sorte que toute une partie de l'électorat brésilien était capable de comprendre ces indices et leurs significations. L'électorat brésilien est très composite : il y a des gens très instruits, mais il y a aussi des gens qui ont un très faible niveau d'études et qui ne comprennent pas grand chose à ces indicateurs économiques. Ainsi, au fur et à mesure des mois sous l'impact des indicateurs économique, l'enthousiasme pour Dilma Rousseff cédait du terrain et les voix qu'elle perdait passaient à ses adversaires qui dénonçaient justement ce manque de croissance économique et ce ralentissement , et disons que cela tenait à défaut de mesures prises par le gouvernement et non pas à des facteurs externes.


Le deuxième facteur qui explique le recul de Dilma Rousseff pendant la campagne, c'est un cas de corruption très important dans une entreprise publique qui s'appelle Petrobras, chargée de l'exploitation du pétrole et de tout un ensemble de produits dérivés du pétrole, qui est un géant de l'économie mondiale. Il y a eu donc des détournements de fonds au bénéfice du parti de Dilma. Voilà un deuxième facteur qui a réduit les votes en faveur de Dilma Rousseff. Troisième facteur important : plus la campagne se déroulait, plus le scrutin s'approchait plus une partie de l'électorat prenait conscience que le Parti des Travailleurs à travers Lula et Dilma Rousseff était maintenant au pouvoir depuis 12 ans et la candidate Dilma Rousseff, présidente sortant, était affectée par un phénomène qu'on retrouve dans toutes les grandes démocraties qui est l'usure du pouvoir : une espèce de lassitude de l'électorat et qui face a un candidat ou une candidate ne se renouvèle pas suffisamment. Donc voilà encore quelque chose qui a effrité les intentions de vote.
Et puis il y a enfin un facteur plus important encore qui est que le 13 août, un avion dans lequel était l'un des candidats à la présidentielle, est tombé, tuant le personnel de bord le pilote et les passagers. Or, dans les passagers, il y avait un candidat des élections qui était alors en troisième position, Eduardo Campos. Sa disparition a permis à la vice-candidate Marina Silva d'être candidate à son tour. Cet évènement a profondément changé l'offre électorale et beaucoup d'électeurs de Dilma Rousseff sont passés à Marina Silva, notamment une partie de l'électorat évangéliste. Cet électorat après la fin du premier tour et l'élimination de Marina Silva, ne s'est pas reporté sur Dilma Rousseff et finalement est venue augmenter les votes en faveur d'Aécio Neves. Donc Dilma Rousseff a été réelue mais elle a été réélue de justesse et cela montre à la fois la bonne activité électorale de la population brésilienne et une inquiétude à l'égard de Dilma et son parti face à la corruption et à la situation économique."


Reporters Brésil : Comment Dilma Rousseff pourra-t-elle satisfaire la population ? Avec ce score assez faible, 51% des voix?
Stéphane Monclaire : Et bien c'est difficile de satisfaire la population... d'autant plus lorsque la population a des attentes contradictoires. La population brésilienne n'est pas une population socialement homogène. Donc les demandes d'état, les demandes de politique publique émises par les élites et par les couches moyennes supérieures ne sont les mêmes que celles provenant des couches moyennes intermédiaires, qui elles-mêmes ne sont pas les mêmes que les couches moyenne basses et elles-mêmes sont différentes des couches populaires. Ajoutez à ça que le Brésil est un pays de taille continentale comme vous le savez. Et donc un pays qui est traversé de problèmes qui tiennent au territoires et au manque d'intégration de tout un ensemble de territoires : et bien ça amène telle population locale à par exemple souhaiter beaucoup plus de système de transports que telle autre population locale...Bref, vous avez une diversité des attentes et ce n'est pas facile pour le pouvoir exécutif de satisfaire des attentes qui ne vont pas dans le même sens qui ne porte pas sur les mêmes choses surtout lorsqu'il n'y a plus de croissance. Et l'absence de croissance économique ça veut dire quoi? Ca veut dire des rentrées fiscales qui stagnent, qui ne permettent pas de mettre en place de nouvelles politiques publiques, de faire de nouveaux investissements.
Le Brésil comme la plupart des grands pays, le principal poste de dépense de son budget, c'est d'abord le remboursement de la dette et des intérêts de la dette. Celle ci a augmentée donc ça fait chaque année beaucoup plus d'argent qui part en remboursement et donc un peu moins d'argent pour le développement, l'autre gros poste de dépense comme dans tous pays c'est évidemment la paye des fonctionnaires et les dépenses de fonctionnement de l'Etat. Au Brésil, il y a beaucoup de fonctionnaires, contrairement à d'autres pays si on rapporte à la population brésilienne ; Ce nombre important de fonctionnaires fait que la masse salariale que cela représente et les dépenses de fonctionnement de l'Etat sont très importante au Brésil. Donc il ne reste plus grand chose pour la santé, pour l'éducation, pour les transports etc... Et quand il n' y a pas de croissance ni de rentrée fiscale nouvelle, on augmente la pression fiscale, ce qui fait du pouvoir d'achat en moins pour les gens et quand les gens ont moins de pouvoir d'achat, et bien ils consomment moins et l'argent tourne moins vite et donc produit moins de richesse. C'est pour ça qu'il ne faut jamais trop augmenter les prix. Qui sont d'ailleurs assez aisés au Brésil. Et donc faute de rentrée fiscale suffisante, Dilma Rousseff non seulement ne va pas pouvoir développer beaucoup de fonds publics, mais comme par ailleurs les attentes au sein de la population sont très diverses, hétérogènes et en partie contradictoires, la politique qu'elle va faire ne pourra pas satisfaire toute le monde. Elle risque donc de devenir peu à peu moins populaire."

Reporters Brésil : Nous nous sommes renseignées et nous avons vu que sur les sondages des élections que Marina Silva et Dilma Rousseff avait un très bon score, pourquoi ces sondages n'ont pas reflété les résultats aux élections présidentielles.
Stéphane Monclaire : "Et bien parce que Marina Silva, dans les trois jours qui ont succédés le décès d'Eduardo Campos, a gagné énormément d'intentions de votes, elle les a gagné sur sa personne. Parce qu'à ce moment là, il y avait une grande part de l'électorat qui n'avait pas encore fixé son choix et qui ne savait pas encore pour qui voter et l'irruption de Marina Silva a attiré beaucoup d'électeurs indécis.
Il y a un autre élément plus important encore qui explique le score de Marina Silva à ce moment là dans les sondages, elle a bénéficié de ce dont tous les candidats à un élection présidentielle rêvent : pendant plusieurs jours, elle a eu toutes les caméras de télévisons, tous les micros face à elle. Parce qu'on se demandait d'abord si elle avait été candidate, elle l'a été 4 ans plus tôt, lors de la présidentielle de 2010 et était arrivée troisième avec un bon score. Donc toute la presse savait que si elle allait être candidate en 2014, le sors de l'élection présidentielle pourrait être changé. Et elle a très bien utilisé cette focalisation des médias. Pendant que les médias tentaient de savoir si oui ou non elle allait être candidate suite au décès d'Eduardo Campos, les journalistes parlaient d'elle parlaient de son passé...disaient voilà cette femme a tel âge, voilà ce qu'elle avait souhaité faire en 2010, voilà son positionnement politique, rappelaient sa vie, son engagement à gauche, en faveur de l'environnement, de l'écologie...rappelaient qu'elle avait d'abord été une fidèle de Lula puis déçue par Lula, qu'elle avait tenter de fonder son propre parti etc... Ils rappelaient aussi qu'elle était évangélique et compte tenu de l'importance des votes des évangélistes au Brésil, toutes ces informations poussaient l'électorat à la choisir. Donc a un moment, elle a été donnée favorite de la présidentielle. Puis lorsqu'elle rentre en campagne, elle est victime des règles électorales, de l'accès à la présidence. L'accès n'est pas égalitaire contrairement en France pour chaque candidat, le temps d'antenne qu'ont les candidats est proportionnel à l'importance du nombre de députés qu'ils ont. Dilma Rousseff avec vaste coalition qui la soutenait, et elle avait 12 fois plus de temps d'antenne que Marina Silva. Elle pouvait donc l'attaquer verbalement, dans la campagne publicitaire. Car au Brésil il est possible de faire des écrans de publicité, qui ne sont pas comme aux Etats-Unis, payant, mais ils sont offerts aux candidats et leur nombre et leur durée est justement proportionnel au nombre qui les appuis. Et Marina Silva n'avait pas beaucoup de députés qui les appuyaient, et avait donc 12 fois moins de temps d'antenne et de publicité à la télé en sa faveur. Et puis dans l'émission de campagne qui est très différente qu'en France, sur l'ensemble des chaînes et l'ensemble des radios, 2 fois par jour et pendant une heure, à des heures où les auditeurs ne peuvent pas zapper car ils voient a chaque fois exactement le même programme. Alors Dilma Rousseff essayait de déconstruire l'image de Marina Silva, l'image qu'elle avait dans l'opinion. Et Marina Silva, faute de temps ne pouvait se défendre. Et par ailleurs comme elle est rentrée en campagne très tardivement le 13 août, et bien elle est rentrée sans programme particulier, sans appui partisan sur le terrain dans l'ensemble du pays, et faute de ressources partisanes suffisante, faute de s'être bien préparée à cette campagne et avoir un programme très précis, cohérent etc...et bien elle n'a fait que chuter dans les intentions de votes après avoir atteint des signes. C'est à dire que quand elle est vraiment rentrée en campagnes, les électeurs se sont aperçus qu'elle était ou bien invisible ou bien inaudible et étaient déçue par elle. Du coup ils ont reporté leur voix sur d'autres candidats en partie sur Dilma Rousseff mais aussi sur Aécio Neves qui a été en seconde position pour le premier tour et qui a fait un score très important au second tour."

Reporters Brésil : Nous aurions maintenant deux questions en ce qui concerne les inégalités. Est-ce que la Coupe du monde de football 2014 a eu des répercussions sur les inégalités territoriales ?
Stéphane Monclaire : "lors il y a deux choses dans votre question: il y a "l'effet Coupe du monde" et il y a l'effet des inégalités sociales. Les deux ne sont pas pareils. La Coupe du monde a coûté cher mais ça ne suffit pas à mettre l'Etat brésilien en faillite. Le coût des stades a été fortement critiqué, mais ce qui a été encore plus critiqué sont les infrastructures d'accompagnement : la modernisation des aéroports, des ports, des lignes de métro, de tramway ou de bus pour amener aux stades. Cela a été très critiqué par les populations des villes où il y avait des stades parce que ces travaux ont connus de forts retards et en plus ont connus un surcoût très important. Pour autant le reste du pays était assez insensible à cela et puis au moment où la coupe s'est déroulée, l'enjeu sportif a pris le dessus. La population brésilienne vous le savez aime beaucoup le Brésil et l'équipe brésilienne générait une projection du sentiment national et du patriotisme qui est très fort au Brésil. Et le parcours de l'équipe du Brésil pendant la coupe du monde a été un petit peu difficile pour se qualifier etc..pour passer petit à petit et est arrivé le match où il s'est fait éliminer 7 à 1 mais comme le Brésil était déjà à ce moment là en demi finale et bien la population n'en a pas trop voulu à cette équipe et n'en voulant pas trop à son équipe elle n'a pas fait le lien du point de vue cognitif et la presse ne l'a pas fait non plus, avec les dépenses qu'avaient occasionné ces stades. Si le Brésil avait été éliminé beaucoup plus tôt, la population aurait eu tendance, la presse l'aurait aidé à penser que tant d'argent dépensé pour un résultat si médiocre, cela ne valait pas la peine. Mais comme l'équipe est allée jusqu'en demi finale, voilà c'est passé.
Alors s'agissant maintenant des inégalités sociales, alors ça c'est un gros problème le pays est un des plus émigré au monde quant à la répartition sociale des richesses. Cela ne veut pas dire qu'au Brésil il y ai tune quantité gigantesque de pauvres, il y a des pauvres, mais ils sont moins pauvres que dans beaucoup d'autres pays, notamment des pays africains. Il y a aussi beaucoup de riches et ces riches sont immensément riches. C'est pour ça que les inégalités sont colossales au Brésil : l'écart des salaires est considérable. Je vais vous donner un élément qui permet de l'apprécier...une des façons de répartir les gens c'est de les répartir selon leur salaire et donc les statistiques de l'institut brésilien qui s'appelle IDGE, qui est l'équivalent de l'INSEE française, lorsqu'il fait des enquêtes il demande aux gens dans quelle catégorie ils appartiennent. Alors on leur demande : Est ce que vous touchez moins d'un salaire minimum par mois ? On leur demande les autres possibilités de réponses entre un et deux salaires minimum, trois salaires minimum, de trois à cinq, de cinq à dix, de dix à vingt et plus de vingt. Le simple fait que dans ce questionnaire existe les catégories de dix à vingt et plus de vingt montre à quel point certains salaires peuvent être colossaux au Brésil pour que ça devienne une catégorie statistique. Vous le savez en France, l'échelle des salaire est très réduite en France comme dans la plupart des pays de l'union européenne. Et au Brésil cette échelle de salaire est très large et elle témoigne de l'inégalité sociale quant à la répartition des richesses. Donc ces inégalités sont très grandes et sous les années Lula, elles se sont réduites : c'est à dire que les parts de richesses détenue par les plus pauvres ont augmenté un peu, pour autant le Brésil est resté un des pays les plus inégalitaires. Parce qu'en même temps que les pauvres devenaient moins pauvres, les riches devenaient plus riches. Il y a eu en même temps un déplacement du sommet de la pyramide et de la base de la pyramide. Donc les inégalités se sont réduites mais pas de façon colossale. Ce qui fait que le Brésil continue d'être un pays des plus inégalitaire au monde, bref il y a eu quand même plus d'une dizaine de millions de brésiliens qui sont passés ou de l'extrême pauvreté à la pauvreté, ou bien de la pauvreté aux classes moyennes. Et ça c'est un bilan positif. Cela a été très net à partir des années 2003 à 2011-2012, mais depuis 2012 ce moteur là est cassé et les inégalités sociales ont cessées de se réduire : elles stagnent, voire elles raugmente un petit peu, et ça c'est du notamment au manque de croissance économique. Et puis parce que les politiques sociales, les politiques de redistribution ont atteint leur maximum d'efficacité. Il faudrait mettre en place une nouvelle politique publique en faveur des plus pauvres, des politiques redistributives principalement mais justement le budget on en peut pas l'augmenter fortement puisque les rentrées fiscales sont insuffisantes."

Reporters Brésil : Nous vous remercions pour le temps que vous avez pris pour répondre à nos questions.